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Où en sommes-nous présentement ? Une odeur de merde arrive dans les narines du pouvoir, mais pour l'heure ce n'est que l'odeur qui les trouble. Il faut pourtant leur faire bouffer, les en étouffer. Jadis, la gauche extra-parlementaire, au sens allemand d'Ausserparlamentarische Opposition qui a engendré la Rote Armee Fraktion, était soutenue çà et là, internationalement ; le recours récurrent à la violence n'était alors pas rédhibitoire. En 1976, les Cahiers du GRIF, revue féministe bruxelloise, sortaient un portrait posthume d'Ulrike Meinhof, ex-journaliste devenue figure majeure de la RAF, et statuait liminairement « Ulrike était bien notre sœur ». Morte en prison, Meinhof avait vraisemblablement été suicidée par l'Etat ouest-allemand dont elle avait, de par son engagement dans la lutte armée, révélé l'essence fasciste, toujours latente. Il faut croire qu'à l'époque, une reconversion professionnelle de journaliste radical-chic à lanceuse de bombes révolutionnaire ne rendait pas totalement infréquentable. Un autre monde, hélas. En 1978, Volker Schlöndorff, Rainer Weiner Fassbinder et huit autres réalisateurs pondaient le film Deutschland im Herbst. Il interrogeait, en dix regards, autant les temps de terreur de la RAF, alors temporairement en sommeil, que la répression de la RFA à son endroit. Sans parler d'Heinrich Böll, prix nobel de littérature à l'automne 1972, qui, en janvier de cette même année, signait un article clément sur Ulrike Meinhof, déjà engagée au sein de la Fraction armée rouge, paru dans le Spiegel. Bref, il y a un demi-siècle, une certaine partie de l'élite culturelle ne condamnait pas aveuglément les violences. Il y avait de la place pour l'interrogation, la compréhension, voire le soutien. Nous n'attendons certes aucun soutien élitaire, mais nous souhaitons ici souligner ce qui nous sépare de cette Europe qui vacillait sous les attentats de révolutionnaires conséquents mais qui demeurait, partiellement, lucide sur les malheurs du monde. Il faudra y revenir.
Les citoyens fiers de l’être et les séditieux à la petite semaine, unis dans la bienséance de leur innocence et de leurs dénis, célèbrent la révolution sous boule à neige. Qu’elle prenne la forme d’un mix gabber inclusif et claqué au sol ou d’un morceau vaporeux d’hyperpop, d’un collectif d’artistes aussi bienveillants qu’inoffensifs ou de la Friche de la Belle de Mai, de la plateforme MUBI ou de la Kiosk Radio bruxelloise diffusant inlassablement des sets de fils de putes, de titres et couvertures photogéniques éditées par Divergences ou d’un podcast ronflant, d’un dispendieux vernissage d’une cuvée parisienne gentrifiant l’Ardèche ou d’une soirée vide-dressing et poésie rincée aux bouteilles de vin naturel au Centre Culturel. Ici inventoriés, ces non-lieux forment un espace dont les singularités renforcent son homogénéité. Narcissiques de nos petites différences, on s’y retrouve à Pantin comme à Berlin, à Bruxelles comme à Marseille. Ces rangées de spectateurs sûrs d’agir les mains propres ; ces jolies menottes qui pointent du doigt l’abstention tout en glissant dans l’urne le bulletin de la réforme. Ce sont ces bonnes consciences qui ne rouillent aucun fer. Les mêmes qui croient en la Culture pour changer le monde. Ceux qui applaudissent les simagrées velléitaires d’une artiste en point d’orgue de son spectacle mal nommé Résiste : « résister est nécessaire dans un monde qui se complique ». Vivats et bravos.
Nous sommes de cette classe moyenne, nous ne ferons pas croire autre chose. Il n’empêche que notre voisinage nous dégoûte et que nous souhaitons qu’il la ferme. S’il ne constitue pas la première brigade de flics de France, il n’en demeure pas moins une patrouille qui assure l’ordre des choses.
PS : nous n’avons rien contre les putes, l’insulte « fils de pute » est malheureusement la seule qui soit viscéralement à la hauteur de nos crachats. En attendant de trouver mieux.
Les louangeurs du travail. — Dans la glorification du travail, dans les infatigables discours de la bénédiction du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et d’un intérêt général : l’arrière-pensée de la crainte de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très bien compte, à l’aspect du travail — c’est-à-dire de cette dure activité du matin au soir — que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle s’entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des convoitises, des envies d’indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, il retire cette force à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société, où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême.
Friedrich Nietzsche, Aurore, Livre troisième, 1881.
Il s’agirait de s’ensauvager pour de vrai et d’arrêter de s’effaroucher dès que les racelards ayant voix au chapitre emploient cette expression. L’ensauvagement est souhaitable ; seulement, il n’est pas encore advenu. Il n'est de société que le nom ; s'il existe des intérêts communs, nous en avons fort peu. Et inutile d’exhorter le peuple à s’ensauvager. Le peuple n’existe pas ; pour l'heure, il n’y a que des hommes.
Si la merde dans laquelle nous sommes est d’abord celle que nous chie le pouvoir, gardons à l’esprit que nous, les bien-contents-d’être-de-gauche, nous maintenons les pieds dedans. Sûrs de notre bonne conscience, affiche « remplacer le capitalisme par une bonne sieste » placardée au-dessus de quelques mièvres photos argentiques dans notre appartement du 20e arrondissement, nous, subversifs à mi-temps, nous persuadons que le politique est une affaire de bons sentiments. On s’indigne du manque d’empathie des génocidaires d’Israël. On se scandalise à chaque brutalité policière mais quand même, la police est nécessaire. On se fâche que nos pipis sous la douche et que nos recettes zéro déchet ne fassent pas tâche d’huile pour sauver la planète. Tout est dépolitisé dans nos imaginaires instagrammables mais on n’en démord pas : le changement passe par nous. Nos espaces safe et nos fêtes inclusives font la révolution. Quelle belle bande de tocards ! Un jour peut-être nous cesserons de vouloir rendre désirable ce monde de merde.